3700
Mercredi. Dénivelé du jour : 0. Distance parcourue : Hôtel- agence.
Hugo sourit. Il est dans le routard.
-Qu'est ce que je peux faire pour vous ?
- Monter à 6000 mètres.
- Signez là.
A 3 phrases près, nous nous en sommes tenus là, palabre laconique en vue de la conique ascension la plus populaire de Bolivie. Hugo possède un diplôme de médecin urgentiste de montagne. Il n'en faut pas plus pour tâter Anne-Cécile... du stéthoscope. J'observe la scène depuis un canapé essayant de retenir les cris d'Arthur excité et ivre de questions à propos des photos de glacier au mur. Papa, glacier, 6000 ... ça chahute son imaginaire.
Say 'Trenta'. Rien d'anormal, pas de bruit parasite entre 2 sons de valves cardiaques, mais un scanner des poumons serait rassurant de retour en France. J'assiste à ma première leçon de montagne. Ordonnance : repousser la première cigarette le plus tard dans la journée, radio des poumons. Ouf, je respire.
Chances de réussites : 4/5.
Le départ est fixé vendredi matin. Le mont Huayna Potosi nous observe de loin. On devine sa présence. D'ici vendredi il faut acheter chaussettes et écharpe. Il ne s'agit pas d'avoir froid aux pieds, des expéditions malheureuses peuvent en témoigner. Monsieur S, dont je préfère taire l'identité m'avait bien répété que les pieds font le sommet. Sa vision universelle dépasse aujourd'hui les sommets d'Auvergne, on l'écoute, on le cite, on le chambre. On gagne en humilité par ses paroles qui vous glacent comme le givre qui se forme parfois au petit matin sur le pare-brise de sa fiesta. 'On n'entame pas comme ça un 4000 mètres mon garçon'. Alors vous pensez, un 6000....Monsieur S est un peu à la haute montagne ce que le yéti est à la zoologie, un mythe invisible non répertorié. Monsieur S, sachons vous Ranger parmi les sages.
4750.
Vendredi. Dénivelé du jour 1050 mètres. Distance parcourue 50 kms en van jusqu'au camp de base.
Arthur pleure son père. Nous nous séparons pour la première fois depuis 5 mois. Cette montagne qu'il voit de loin l'impressionne aussi. On se voit lundi. Je monte dans le van, encore un Toyota Hiace. La fournée du vendredi fait 25 ans de moyenne.
La masse nargue les voyageurs noyés dans les gaz d'échappement de La Paz. Elle crâne. Le blanc pure réveille l'envie de fuir la ville, de grimper. La masse possède un nombre : 6088. Pourquoi vouloir grimper le Huayna Potosi ? Parce qu'il est là simplement. Au loin de cette pelote humaine embrouillée dans des artères mi voitures mi marché,
enfermée dans la cuvette que forme la capitale bolivienne, on se rappelle les dimensions excessives du pays.
4000 mètres, capitale la plus haute du monde, une chaîne de 6000 qui s'exhibe depuis les rues mêmes du centre ville grouillant et irrespirable et touche du pied les naïfs voyageurs de passage. Dans le van, on ne l'ouvre pas. 45 minutes de piste libère un couple d'allemand, un couple de danois, un couple d'espagnol, Christi la canadienne et un presque quarantenaire breton poussé là par hasard au refuge à 4750 m.
Il fait froid. Le souffle charge l'air de petits brouillards d'altitude. L'oxygène déjà plus rare est glacé. A table la soupe de nouilles ne réchauffe pas plus l'ambiance La peur du lendemain est dans toutes les cuillères. L'après midi sera de glace. Piolets, crampons, rappel.
L'exercice fait un peu casser la croûte. Autour d'une collation on se découvre un peu.
Le couple d'allemands voyage depuis 2 mois, diplôme de docteur en poche en attendant leur poste. Les danois affichent un programme de trek en pentagonie pour 2 mois. L'espagnol travaille dans l'informatique. Il aime ça lui. Enfin Christi de la côte ouest du Canada fait briller ses yeux bleus en évoquant la montagne qu'elle gagne tous les week-ends. En découvrant le sommet dégagé par un éclaircie le lendemain, elle me demandera, le cœur précipité, confidente à mes côtés, seuls sur une langue de neige fraîche : 'Alors ça t'excite ?'.Le sommet tendait au moins nos 2 nuques.
Je me couche de bonne heure, comme longtemps. La nuit est glaciale, et le duvet -10•c mériterait une lettre de réclamation bien tournée aux vues du confort ressenti dans les 5,6•c enregistrés par ma montre également altimètre. Triple paire de chaussettes, polaires pour emmailloter et essayer de réchauffer en vain l'organe principal qui occupe mes pensées perturbées par Monsieur S. Je dors, un peu. Le matin, je découvre des couvertures dans la chambre d'à côté.
Chances de réussite : 3/5.
5250
Samedi. Dénivelé du jour : 500 mètres. Temps de marche : 4 heures.
Temps bouché, neige. 0 degré.
13:30. 2 heures qu'on pense et qu'on repense l'équipement à emporter. On me tend le sac à dos à 11:30. Jamais dénomination n'a été aussi usurpée. En guise de sac à dos, il s'agit plutôt d'un reste de tissu avec 2 branlantes sangles pour les épaules. 'Ok amigo ?'.
Pour vaincre le sommet, il faut de la volonté avant tout. Il est trop tard pour réclamer un modèle avec mousses thermo-moulées et dos réglable avec filet anti transpiration.
J'accepte.
Chances de réussite : 2,5/5.
On entame la marche vers le refuge d'altitude à 5250. Pas un mot. Des figures ramollies ponctuent les pauses des 4 heures de marche. Les guides observent, choisissent. Le reste de tissu me cisaille le dos. Je marche malgré tout avec aisance en oubliant ce fardeau épineux qui ne fera certainement pas l'ascencion finale demain dans la nuit. On ne dit mot mais Christi me désigne avec elle dans la cordée de 2. Mario, le guide aux 130 ascencions et 130 cms ouvrira la voie avec la montagnarde et le français.
J'ai beau expliquer que je n'ai rien à voir avec Chamonix et les montagneux qui défilent tout l'année, la réputation est faite, et à force de répéter 2 des 10 mots que je connais en espagnol, 'mui bien', je me retrouve dans la cordée ouvreuse, la plus diificile.
Le refuge d'altitude se résume a 4 tôles, des matelas et un fil à linge alourdi par les pantalons et vestes trempés. Neige et brouillard. Dehors on tourne un mauvais polar. L'odeur de chausette se mélange au bolino local mélangé à la neige fondue.
A 18:00 une éclaircie troue le pic. A 5250, la montée est encore vertigineuse. Christi est dans les nuages, partie dans un rêve endurci par une passion pour la montagne. Elle grimpe déjà, son corps est tendu comme
une canadienne : piquets, piolets, crampons lui poussent des membres. La planète bleue blanchit à hauteur stratosphetique.
Demain dans le noir, à 1 heure du matin je serai seul avec une corde nouée au baudrier, une frontale pointée sur la poudreuse pour tromper la nuit et voir le jour à 6:30 au sommet.
Un pas après l'autre, pas plus. Il faut dormir d'abord. Le briefing de Fidele, le guide de la troisième cordée réveille le mal de tête oublié depuis l'Inde et depuis mon écran de salarié. Avalanche, abandon, humilité sont tissés dans un discours en espagnol qui m'échappe. A moi seul semble-t-il, pas plus mal.
A minuit, je ne me suis toujours pas endormi. Les frontales s'allument, les duvets glissent sur le goretex. J'ai mal à la tête. Je calcule qu'à 8:00 je n'aurai pas dormi depuis 24 heures.
Chance de réussite du spécialiste des nuits de 10 heures : 1/5.
5500
Dimanche. -5 degrés. Brouillard, neige, pente 45 degrés.
J'avale. Je tasse. J'engloutis. Je manque de vomir. Thé a la feuille de coca, céréales sans lait, yaourt. Mon gloubiboulga dans le nuages n'est pas joyeux, et les enfants n'y sont pas heureux car on respire peu. Christi et moi partageons son sac : 4 litres d'eau, mon appareil photo, écharpe, pull et chocolats, cacahuètes et surtout un snickers. Un coup elle, un coup moi.
C'est parti. Les pas s'enfoncent jusqu'aux genoux, mi cuisse, hanche.
Mario avoue que ce n'est pas le bon jour. Il a neigé sans arrêt. C'est la saison des pluies en janvier. Le rythme cardiaque prend les tours, le moteur chauffe. Ça avance à rythme soutenue. Je souffle par la bouche grande ouverte, la tête penchée sur chaque pas. Impossible de prendre le poul de la montée.
L'équation a résoudre possède de nombreuses inconnues toujours en suspend. Ça mouline pour résoudre le problème. Les battements de cœur sont composés dans une valse a mille temps. La tête pèse, palpite avec le cœur sur les tempes. Ça transpire la dessous. J'ai envie de vomir, et surtout peur de sentir le sommeil me rattrapper dans l'ascencion. Je ne me donne pas grandes chances. Derrière moi, 9 frontales chahutées par les pas lourds de neige fraiche dans les crampons dessinent une pente invisible.30 minutes et environ 5000 battements de cœur plus tard je prends le sac de Christi.
Je vois rouge dans le noir. Le corps sature. Ça va lacher, exploser. 'Break Mario please'. Il m'interroge sur mes symptômes. 'going downtown Alejandro'.
Chances de réussite : 0,5/5.
Nous ne sommes qu'à 5500 mètres. Notre cordée se retrouve en dernière position. Derrière moi c'est le noir absolu.