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3 février 2012 5 03 /02 /février /2012 15:31


3700
Mercredi. Dénivelé du jour : 0. Distance parcourue : Hôtel- agence.
Hugo sourit. Il est dans le routard.
-Qu'est ce que je peux faire pour vous ?
- Monter à 6000 mètres.
- Signez là.
 
A 3 phrases près, nous nous en sommes tenus là, palabre laconique en  vue de la conique ascension la plus populaire de Bolivie. Hugo possède  un diplôme de médecin urgentiste de montagne. Il n'en faut pas plus  pour tâter Anne-Cécile... du stéthoscope. J'observe la scène depuis  un canapé essayant de retenir les cris d'Arthur excité et ivre de  questions à propos des photos de glacier au mur. Papa, glacier,  6000 ... ça chahute son imaginaire.
Say 'Trenta'. Rien d'anormal, pas de bruit parasite entre 2 sons de  valves cardiaques, mais un scanner des poumons serait rassurant de  retour en France. J'assiste à ma première leçon de montagne.  Ordonnance : repousser la première cigarette le plus tard dans la  journée, radio des poumons. Ouf, je respire.


Chances de réussites : 4/5.


Le départ est fixé vendredi matin. Le mont Huayna Potosi nous observe  de loin. On devine sa présence. D'ici vendredi il faut acheter  chaussettes et écharpe. Il ne s'agit pas d'avoir froid aux pieds, des  expéditions malheureuses peuvent en témoigner. Monsieur S, dont je  préfère taire l'identité m'avait bien répété que les pieds font le  sommet. Sa vision universelle dépasse aujourd'hui les sommets  d'Auvergne, on l'écoute, on le cite, on le chambre. On gagne en  humilité par ses paroles qui vous glacent comme le givre qui se forme  parfois au petit matin sur le pare-brise de sa fiesta. 'On n'entame  pas comme ça un 4000 mètres mon garçon'. Alors vous pensez, un  6000....Monsieur S est un peu à la haute montagne ce que le yéti est  à la zoologie, un mythe invisible non répertorié. Monsieur S,  sachons vous Ranger parmi les sages.
 
4750.
Vendredi. Dénivelé du jour 1050 mètres. Distance parcourue 50 kms en  van jusqu'au camp de base.

 

Arthur pleure son père. Nous nous séparons pour la première fois  depuis 5 mois. Cette montagne qu'il voit de loin l'impressionne aussi.  On se voit lundi. Je monte dans le van, encore un Toyota Hiace. La  fournée du vendredi fait 25 ans de moyenne.

HuaynaPotosi 0574

La masse nargue les voyageurs noyés dans les gaz d'échappement de La  Paz. Elle crâne. Le blanc pure réveille l'envie de fuir la ville, de  grimper. La masse possède un nombre : 6088. Pourquoi vouloir grimper  le Huayna Potosi ? Parce qu'il est là simplement. Au loin de cette  pelote humaine embrouillée dans des artères mi voitures mi marché, 
enfermée dans la cuvette que forme la capitale bolivienne, on se  rappelle les dimensions excessives du pays.

HuaynaPotosi-0718.JPG

4000 mètres, capitale la  plus haute du monde, une chaîne de 6000 qui s'exhibe depuis les rues  mêmes du centre ville grouillant et irrespirable et touche du pied les  naïfs voyageurs de passage. Dans le van, on ne l'ouvre pas. 45 minutes  de piste libère un couple d'allemand, un couple de danois, un couple  d'espagnol, Christi la canadienne et un presque quarantenaire breton  poussé là par hasard au refuge à 4750 m.

Copia-de-DSC_0589.JPG

Il fait froid. Le souffle  charge l'air de petits brouillards d'altitude. L'oxygène déjà plus  rare est glacé. A table la soupe de nouilles ne réchauffe pas plus  l'ambiance   La peur du lendemain est dans toutes les cuillères. L'après midi sera de glace. Piolets, crampons, rappel.

HuaynaPotosi 0591

L'exercice fait  un peu casser la croûte. Autour d'une collation on se découvre un peu. 
Le couple d'allemands voyage depuis 2 mois, diplôme de docteur en  poche en attendant leur poste. Les danois affichent un programme de  trek en pentagonie pour 2 mois. L'espagnol travaille dans  l'informatique. Il aime ça lui. Enfin Christi de la côte ouest du  Canada fait briller ses yeux bleus en évoquant la montagne qu'elle  gagne tous les week-ends. En découvrant le sommet dégagé par un  éclaircie le lendemain, elle me demandera, le cœur précipité,  confidente à mes côtés, seuls sur une langue de neige fraîche :  'Alors ça t'excite ?'.Le sommet tendait au moins nos 2 nuques.

Je me couche de bonne heure, comme longtemps. La nuit est glaciale, et  le duvet -10•c mériterait une lettre de réclamation bien tournée  aux vues du confort ressenti dans les 5,6•c enregistrés par ma  montre également altimètre. Triple paire de chaussettes, polaires pour  emmailloter et essayer de réchauffer en vain l'organe principal qui  occupe mes pensées perturbées par Monsieur S. Je dors, un peu. Le  matin, je découvre des couvertures dans la chambre d'à côté.


Chances de réussite : 3/5.
 
5250
Samedi. Dénivelé du jour : 500 mètres. Temps de marche : 4 heures. 
Temps bouché, neige. 0 degré.

 

13:30. 2 heures qu'on pense et qu'on repense l'équipement à emporter.  On me tend le sac à dos à 11:30. Jamais dénomination n'a été aussi  usurpée. En guise de sac à dos, il s'agit plutôt d'un reste de tissu  avec 2 branlantes sangles pour les épaules. 'Ok amigo ?'.

Pour vaincre le sommet, il faut de la volonté avant tout. Il est trop  tard pour réclamer un modèle avec mousses thermo-moulées et dos  réglable avec filet anti transpiration.
J'accepte.


Chances de réussite : 2,5/5.

HuaynaPotosi 0598

HuaynaPotosi 0617
On entame la marche vers le refuge d'altitude à 5250. Pas un mot. Des  figures ramollies ponctuent les pauses des 4 heures de marche. Les  guides observent, choisissent. Le reste de tissu me cisaille le dos.  Je marche malgré tout avec aisance en oubliant ce fardeau épineux qui  ne fera certainement pas l'ascencion finale demain dans la nuit. On ne  dit mot mais Christi me désigne avec elle dans la cordée de 2. Mario,  le guide aux 130 ascencions et 130 cms ouvrira la voie avec la  montagnarde et le français.

HuaynaPotosi 0608

J'ai beau expliquer que je n'ai rien à  voir avec Chamonix et les montagneux qui défilent tout l'année, la  réputation est faite, et à force de répéter 2 des 10 mots que je  connais en espagnol, 'mui bien', je me retrouve dans la cordée  ouvreuse, la plus diificile.


Le refuge d'altitude se résume a 4 tôles, des matelas et un fil à  linge alourdi par les pantalons et vestes trempés. Neige et   brouillard. Dehors on tourne un mauvais polar. L'odeur de chausette se  mélange au bolino local mélangé à la neige fondue.

HuaynaPotosi 0624

 

HuaynaPotosi 0626

A 18:00 une  éclaircie troue le pic. A 5250, la montée est encore vertigineuse.  Christi est dans les nuages, partie dans un rêve endurci par une  passion pour la montagne. Elle grimpe déjà, son corps est tendu comme 
une canadienne : piquets, piolets, crampons lui poussent des membres.  La planète bleue blanchit à hauteur stratosphetique.

HuaynaPotosi-0679.JPG

 

HuaynaPotosi 0674

Demain dans le  noir, à 1 heure du matin je serai seul avec une corde nouée au  baudrier, une frontale pointée sur la poudreuse pour tromper la nuit  et voir le jour à 6:30 au sommet.


HuaynaPotosi 0681Un pas après l'autre, pas plus. Il faut dormir d'abord. Le briefing de  Fidele, le guide de la troisième cordée réveille le mal de tête  oublié depuis l'Inde et depuis mon écran de salarié. Avalanche,  abandon, humilité sont tissés dans un discours en espagnol qui  m'échappe. A moi seul semble-t-il, pas plus mal.
A minuit, je ne me suis toujours pas endormi. Les frontales  s'allument, les duvets glissent sur le goretex. J'ai mal à la tête.  Je calcule qu'à 8:00 je n'aurai pas dormi depuis 24 heures.


Chance de réussite du spécialiste des nuits de 10 heures : 1/5.
 
5500
Dimanche. -5 degrés. Brouillard, neige, pente 45 degrés.
 
J'avale. Je tasse. J'engloutis. Je manque de vomir. Thé a la feuille  de coca, céréales sans lait, yaourt. Mon gloubiboulga dans le nuages  n'est pas joyeux, et les enfants n'y sont pas heureux car on respire  peu. Christi et moi partageons son sac : 4 litres d'eau, mon appareil  photo, écharpe, pull et chocolats, cacahuètes et surtout un snickers.  Un coup elle, un coup moi.

C'est parti. Les pas s'enfoncent jusqu'aux genoux, mi cuisse, hanche. 
Mario avoue que ce n'est pas le bon jour. Il a neigé sans arrêt.  C'est la saison des pluies en janvier. Le rythme cardiaque prend les  tours, le moteur chauffe. Ça avance à rythme soutenue. Je souffle par  la bouche grande ouverte, la tête penchée sur chaque pas. Impossible  de prendre le poul de la montée.

HuaynaPotosi 0688

L'équation a résoudre possède de  nombreuses inconnues toujours en suspend. Ça mouline pour résoudre le  problème. Les battements de cœur sont composés dans une valse a  mille temps. La tête pèse, palpite avec le cœur sur les tempes.  Ça  transpire la dessous. J'ai envie de vomir, et surtout peur de sentir  le sommeil me rattrapper dans l'ascencion. Je ne me donne pas grandes  chances. Derrière moi, 9 frontales chahutées par les pas lourds de  neige fraiche dans les crampons dessinent une pente invisible.30 minutes et environ 5000 battements de cœur plus tard je prends le  sac de Christi.
Je vois rouge dans le noir. Le corps sature. Ça va lacher, exploser.   'Break Mario please'. Il m'interroge sur mes symptômes. 'going  downtown Alejandro'.

HuaynaPotosi 0702


Chances de réussite : 0,5/5.


Nous ne sommes qu'à 5500 mètres. Notre cordée se retrouve en  dernière position. Derrière moi c'est le noir absolu.

HuaynaPotosi 0692

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