1 Mois qu'on décante, qu'on s'engouffre dans les habitudes perdues.
1 mois qu'on libère les papilles du régime sans dessert d'usage depuis 6 mois; aujourd'hui c'est pain, beurre et laitage à tous les étages. J'ai repris 4 ou 5 kgs.
30 jours qu'on essaye de retenir un peu le temps qui refile, le temps plat, fuyard.
La parenthèse dessinée par la trainée des avions est refermée. On regarde continuer leur couture dans le ciel, en lignes, en avions de ligne. Seraient-ils malheureux de s'arrêter ? De rester au sol ? Oh Malheur ! Eux, ils sont piqués à la bougeotte perpétuelle, à la couture à la machine.
Quand on imagine le voyage, le monde parait lointain, il faut dépasser l'horizon pour le rencontrer. On rêve d'être en l'air pour percevoir l'autre bord. De loin, le monde est toujours permis à l'échappée belle. Les avions le savent, ils ne s'arrêtent jamais, de peur de ne plus voir le monde de loin.
Qu'as-tu vu de plus beau ? Qu'as-tu préféré , qu'as-tu ...et qu'en feras-tu ?
On construit un peu mieux mieux nos réponses de jour en jour.
On ne réussit rien sans les autres, poncif rendu ardent en voyage. La réussite c'est les autres, n'en déplaise à Sartres et son "enfer c'est les autres". Pourtant il voyageait énormément (J'ai voyagé un peu avec lui en lisant la bio de Claude Lanzmann, "Le lièvre de Patagonie", qui a traversé une partie du siècle avec l'écrivain, ex mari de Simone de Beauvoir. Ma lecture favorite). A moins qu'il ne se soit perdu comme moi dans les mises en garde permanentes contre les agressions, le vol et le danger au brésil. Quand bien même il fallait se mettre en état de manque de rencontre, le Brésil laisse une note d'exception dans un voyage qui a polarisé nos sens, nos déplacements, nos attitudes vers la recherche du contact humain.
Pour peu que l'autre baragouine, on s'engouffre avec de grands sourires en guise de grammaire dans toutes les gesticulations verbales. On oublie nos rétissences dans le bal des rencontres.
Nous n'avons aucun mérite, le monde s'éclaire dans la passion partagée des voyageurs. Ils émerveillent le lendemain, toujours en mouvement, illuminés eux même par le grand air et la liberté. Leurs bonheur rudimentaire, leurs milliers de kilomètres en pédalant, leur camping-car chahuté dans la caillasse des déserts, leur solitude précieuse, leur défi à travers la jungle humide dans leurs yeux aqueux, tout est fascination, admiration envie. La confrérie des sacs à dos a bien du génie.
L'extraordinaire date d'hier, il habite la chambre 12, en face de la notre, il prend son café/routard à côté de nous, il dort au dessus d'Arthur, dans le train couchette, il revient d'Ushuaia ou de Birmanie, la Mongolie à cheval prend le petit dej avec nous. Les temples birmans commandent leur crêpe au chocolat à côté de nous, les genoux dans l'eau du Bangkok inondé d'Octobre. Et on se pose tous un peu la même question : on va au nord ou au sud ?
Le monde est un village, on se croise tous les 1000kms, et on se raconte les visages déjà reconnus dans un pays pourtant lointain. On fait ensemble la tournée des restaurants, ils se dispersent juste sur des milliers de kilomètres. Le voyage mêle et démêle.
Un voyageur c'est l'anti collègue de boulot.
ci dessus une ambiance dans une chaîne de café StarBuck.
C'est quelqu'un qui se raconte tout de suite, à qui on demande l'essentiel et livre sa profondeur en tongs. C'est un concentré de vie dans sa liste magique de pays traversés, dans sa vie exhibée sans voile.
On ne réussit rien non plus sans contrainte. De là naît la liberté. La contrainte d'argent avant tout nous accompagne mais elle nous sauve aussi des mauvaises habitudes, des conforts inutiles, des commodités qui ne sont pas celles de ceux qui vivent autour de nous.
J'ai besoin d'une forme de sobriété, voire d'ascétisme, d'un dépouillement moral. Je veux jouer le jeu, it's a job comme dirait Emma en inde.
On décante.
Nos corps retombent mollement. On y voit plus loin dans nos pensées, le brouillard de sédiments soulevé par les pas alourdis des 20kgs de nos sacs s'est dissipé. On s'est bien bien entendus, on s'est aimés, on s'est suffit, on s'est laissé aller, on s'est oublié, on s'est soutenu, on s'est jeté vers l'autre ensemble et dans un élan désinvolte et travesti par l'éloignement, fort de notre sourire. Pendant 6 mois, nous nous sommes tenus la main.
Je suis heureux de ce voyage.
Je suis heureux car le mot fin n'existe pas dans cette histoire.
On voudrait réécouter le disque pour répéter l'émotion, mieux entendre les notes.
Vous en reprendrez bien un petit dernier pour la ROUTE. Nous oui.